lundi 25 août 2008

THE DARK KNIGHT (2008)

Et voici enfin surgir le DARK KNIGHT, depuis des mois fantasmé, que les à-côtés extra-cinématographiques (tournage cahotique à Hong-Kong, décès d'Heath Ledger, légendaires recettes au box-office américain) ont presque détourné de l'essentiel : le film lui-même, annoncé par la rumeur bruissante, mine de rien et depuis quelques temps, comme sommet de ce genre si particulier que constitue le film de super-héros.

Quoique, à bien constater... De film de super-héros, il n'est, à la limite, même plus question. Sauf si la définition englobe ce que la catégorie a intégré depuis les oeuvres de Miller ou Moore qui, ayant extrait le genre du divertissement pour ados, l'ont, pour toujours, installé au sein d’un réalisme jamais vu jusqu'alors : lui faisant prendre en compte le monde qui l'entoure et la société dans lequelle il évolue, loin des atermoiements autistiques de la majorité de la production. Soit ce qu’on attend de toute oeuvre d’art qui se respecte.

Trois ans après BATMAN BEGINS, ce qui en effet, d’entrée, frappe ici est la nette rupture stylistique entre le présent produit et son prédécesseur. Là où le premier volet (refonte réussie de l’univers du chevalier noir afin de relancer une franchise laissée moribonde par les délires campy de Joël Schumacher) irriguait ses plans d’une certaine tonalité comics, le parti-pris réaliste de la séquelle oriente délibérément celle-ci vers le polar hardcore plus que l’adaptation de bédé proprement dite. Les modèles avoués n'étant désormais plus tant les précédentes tentatives de retranscriptions de personnages tel qu’ils existent sur papier que le film noir le plus pur. Ou comment sortir le tout de l'univers "fantasy" pour le faire entrer dans la vraie vie.

C’est la direction, couillue ô combien, adoptée par Nolan : une étonnante radicalité qui fait le prix et la singularité de ce nouvel opus, étrange objet contre-nature - presque mutant, qui ne ressemble du coup, en rien, à aucune autre adaptation l'ayant précédé. Y sont plutôt évoqués Michael Mann (référence presque avouée par la séchéresse du ton et l'hommage à HEAT en séquence d’ouverture) ou surtout, de manière plus surprenante (ou pas tant que ça, en fait) les films noirs (au sens large du terme) des années 70.

Y naviguent les mêmes ambiances d’angoisse urbaine, froideur et paranoïa qui instaurent une noirceur propre à délibérément faire dériver le tout vers des contrées jusqu'alors inconnues du genre. Et permettent à Nolan d'installer des thématiques inédites à ce niveau. On parle ici de légitimité de mission, de vengeance, de schizophrénie, de terrorisme, de responsabilité, de rapport au citoyen... Tous ces grands Thèmes que le cinéaste parvient à amener sur scène sans que jamais ne soit pour autant remise en cause la fonction première du film, blockbuster estival avant tout. Exactement comme les films commerciaux "nobles" des années 70 (on pense à Sydney Pollack ou Don Siegel) qui se permettaient de poser des enjeux tout en assumant leur nature de pur divertissement.

Le jusqu'au-boutisme des auteurs installe DARK KNIGHT comme véritable reflet de son époque : d’un sombre presque perturbant pour un tel produit grand public, d’une densité narrative à la limite de l'étouffant, qui accumule sans faillir les péripéties jusqu’à risquer de perdre en route le spectateur (même si on soupçonne, en l'état, la version de trois heures originellement désirée par le metteur en scène de légitimement rendre justice à un rythme en l’état trop précipité et qui menace de rompre à tout instant. A vérifier sur une future édition Dvd ?). Danger que le réalisateur assume pleinement, dans son parti-pris de débatte des sujets qu'il souhaite voir traités sans forcément apporter de réponses, de laisser irrésolu le combat intérieur de ses protagonnistes, de refuser la facilité narrative et bannir tout happy-end...

Dommage que le pari ne soit pas totalement tenu, l'ensemble accusant un net fléchissement aux deux tiers du parcours. Peut-être en partie parce que le studio a mis son nez dans l'histoire. Certainement parce que Nolan reste Nolan : artiste plus doué pour la théorie que la pratique, prenant en main des sujets prometteurs auxquels il peine à donner l'ampleur qu'on pourrait en attendre. Si la noirceur et l'état des lieux psy qu'il infuse au dyptique BATMAN assurent à celui-ci une maturité inédite, il ne se départit pas non plus des défauts observés dans les autres oeuvres du cinéaste : une certaine distance, un manque de chaleur, une frigidité presque qui en font des objets d'admiration plus que de réelle passion, plus intéressants à analyser que foncièrement vivants. Qui, aussi pertinants soient-ils, manquent toujours un peu de folie, de démesure, de vie en somme...

Ce n’est évidemment pas pour rien que les moments les plus forts du film concernent les apparitions du Joker, agent du chaos, qui, presque seul, vient déranger le tout et mettre un peu de piment dans un ensemble un poil trop sage. Grâce soit rendue à Heath Ledger d’avoir saisi l’essence moite et morbide d’un personnage qui bouffe chaque plan dans lequel il apparait et laisse le film un peu orphelin dès lors qu’il n’est plus à l’image. On peut regretter qu’il n’ait pas plus contaminé de sa présence anxiogène un ensemble dès lors un poil trop poli.

Pas de quoi gâcher la fête non plus. Par son traitement délibérément adulte, son faux-rythme à rebours du blockbuster d’action lambda et sa noirceur assumée, ce DARK KNIGHT constitue peut-être ce que les adaptations de comics ont offert de mieux. Rendant justice à la vision hardcore d'un Miller enfin retranscrite de façon fidèle. L'ensemble permet au Caped Crusader d’y apparaître tel qu’on a toujours révé de le voir sur grand écran, devenant ce qu'il aurait toujours du être : une sorte de relecture geek du DIRTY HARRY de Siegel avec un Christian Bale en costume de carnaval en lieu et place de la figure mormoréenne d’Eastwood.

Et si Nolan n’a pas (encore) réalisé le grand film coriace et ambigu sur lequel on fantasme, disons qu’il s’en est, en l’état, approché plus que jamais personne avant lui. Et qu'il est tout à fait permis de se demander dans quelle direction il va désormais emmener son héros. C’est dire si on est curieux de découvrir ce que réserve la suite de ses aventures...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et bien bravo pour cette critique qui réveille en moi l'envie d'aller voir le film une deuxième fois... histoire de voir si je trouve des choses qui ne me plaisent pas... dur dur